SAMR vs ASPID : le match

Publié: 3 mars 2014 par astringues dans Education, numérique
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Mon métier de formateur au numérique dans le premier degré (AKA #Ftice1d) m’amène régulièrement à réfléchir sur les différentes façons d’orienter les pratiques pédagogiques des enseignants afin d’optimiser l’utilisation d’outils numériques dans leurs enseignements et surtout que leurs élèves se les approprient afin d’optimiser les modalités d’apprentissage.

Dans cette optique, j’avais été très séduit par la proposition de Ruben Puentedura et de son modèle SAMR, qui m’avait d’ailleurs amené à en proposer une présentation visuelle que j’utilise encore régulièrement dans mes animations pédagogiques :

Puis j’ai découvert il y a quelques semaines un autre modèle qui tend vers des objectifs similaires, à savoir l’intégration des technologies numériques dans l’éducation, proposé par Thierry Karsenti et qui porte le doux nom d’ASPID. En voici une représentation :

aspid-TCe billet a pour vocation d’en faire un comparatif, dans le but d’alimenter une réflexion sur mes pratiques professionnelles ainsi que celles de mes collègues et de créer les conditions d’un débat.

Les objectifs

Parler d’objectifs similaires est en fait un peu délicat, car si le but est bien l’utilisation pédagogique du numérique, les intentions sont toutefois fondamentalement différentes.

Si Puentedura s’inspire sur le fond de la taxonomie de Bloom dans l’idée d’amener l’élève à des situations dans lesquelles ses acquisitions et ses productions seront au centre de ses apprentissages, le travail de Karsenti est plutôt orienté vers l’assimilation des outils par l’enseignant pour dynamiser sa pédagogie. On retrouve cependant dans les deux cas des phases initiales (substitution) et finales (redéfinition chez l’un, innovation chez l’autre) dont les caractéristiques sont similaires.

Alors, l’un des modèle est-il plus avantageux que l’autre ?

Le parti-pris initial

La volonté de Karsenti de se situer du côté de l’enseignant montre une préoccupation forte pour les réticences possibles et probables de ceux qui n’ont pas encore intégré ces pratiques à leurs enseignements, ce qui à mon sens est pertinent puisque c’est bien vers eux que se dirigent les deux modèles. Dans ce sens, il conçoit une première étape, l’adoption, qui intègre l’idée de difficulté et d’investissement fort en temps et en engagement.

Je répète depuis des années que l’informatique, puis les Tice, puis le numérique (les vocables, ainsi que les concepts, ont évolué depuis vingt ans) est un meilleur investissement que la bourse, car les heures passées à se former et monter en compétence sont à coup sûr des heures de gagnées par la suite. C’est d’autant plus vrai que la finalité des deux modèles est d’arriver à des activités qui auraient été impossibles sans les technologies numériques, et qui offrent une richesses pédagogique nouvelle. Néanmoins, on sait pertinemment que tous les professeurs ne sont pas des early adopters et que pour certains le chemin est long, parsemé de cailloux et en pente inverse (c’est un autre thème, mais quand j’évoque les travaux de Marcel Lebrun sur la pédagogie inversée, j’ai parfois l’impression de parler chinois aussi). La prise en compte de ces difficultés de départ pour l’enseignant non familiarisé me parait intéressante et l’éluder une erreur. Karsenti va plus loin puisqu’il envisage même une possibilité de détérioration et d’impact négatif de l’intégration pédagogique du numérique. Pour qui pratique dans le premier degré, cette notion appelle immédiatement des images vues et revues : difficulté de prise en main, problèmes techniques, complexité d’organisation de la classe… toutes ces embûches qui peuvent mener le professeur à la sensation que ses investissements sont vain et, in fine, au découragement et à l’abandon. La prise en compte de cette problématique est essentielle, car convaincre les enseignants est essentiel pour les amener à modifier et amplifier leurs pratiques.

Les étapes

Passée cette prise en compte initiale des difficultés possibles, on l’a vu, l’étape première est similaire et porte le même nom, il s’agit de la substitution. On la jugera à juste titre pédagogiquement pauvre, puisqu’elle ne consiste qu’à reproduire des pratiques existantes en utilisant simplement un outil différent. Elle correspond toutefois à un palier intéressant pour l’enseignant qui débute dans l’utilisation du numérique, celui de sa prise en main par ce dernier, et elle reste nécessaire. Le remplacement du cahier par un traitement de texte ou de l’ardoise par une tablette illustre cette étape (ça fait cher l’ardoise, on est d’accord).

On peut également comparer les étapes d’augmentation chez Puentedura et de progrès chez Karsenti : on y retrouve la notion d’efficacité accrue permise par la technologie, donc déjà une plus-value pour les enseignements.

La situation finale (redéfinition ou innovation) qui va permettre des pratiques nouvelles et dont la réalisation n’aurait pu se faire sans le numérique, revêt également des aspects similaires dans les deux modèles, dans le sens où elle tend à faire utiliser des outils par l’enseignant dans ce qu’il peuvent faire de mieux : utiliser une tablette numérique en optimisant ses capacités mobile et multimédia en est un bon exemple.

On trouve cependant une différence majeure entre les deux modèles, qui prend sa source dans l’étape de modification de Puentedura.

L’élève et la classe dans le modèle SAMR

À cette étape, on trouve dans ce modèle des notions de transformation de la salle de classe, de changements fonctionnels. Il s’agit là d’une différence fondamentale, en ce sens qu’elle n’a pas de caractéristique purement technique (le numérique n’est là qu’un outil au service de la pédagogie) mais qu’elle remet en cause des pratiques pédagogiques organisationnelles d’une part, la place de l’élève dans les apprentissages et dans la classe d’autre part. C’est une transformation beaucoup plus ambitieuse qui a vocation à remettre les outils à leur place, celle de moyens, et de les différencier fondamentalement des objectifs essentiels de l’enseignement, à savoir les acquisitions des élèves en termes de connaissances et de compétences. C’est à mon sens une supériorité de ce modèle.

L’un pour les enseignants, l’autre pour les élèves ?

Mon propos prend en effet le risque d’être réduit à cette question. Néanmoins je pense que l’équilibre a besoin des deux modèles : si l’ambition du SAMR est louable, elle considère peut-être avec ingénuité les difficultés que rencontrent certains enseignants à utiliser des outils nouveaux et novateurs qui ont pour objectif de modifier fondamentalement leur pédagogie. À l’inverse, l’ASPID manque probablement d’ambition en ne concevant pas la capacité du numérique à modifier fondamentalement les enseignements, dans la même mesure avec laquelle il a déjà modifié nos vies et notre société.

L’histoire a évoqué les révolutions agricoles et industrielles, et dans les années 80 on parlait de révolution informatique. Si celle-ci n’a jamais vraiment eu lieu, nous vivons actuellement une transformation essentielle et fondamentale du monde à travers le numérique. Il est donc indispensable que l’éducation en prenne la mesure, y prenne sa place et assume sa responsabilité dans la formation des citoyens de demain.

Le débat peut être continué sur Twitter @stephane_bois

commentaires
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  3. Travaillant pour un éditeur dans le monde du numérique scolaire, je trouve qu’il est essentiel, pour amener les enseignants à une utilisation optimisée des ressources numériques de passer par une démarche très progressive.
    Je ne suis pas sûr, a contrario de M. Karsenti, que le numérique puisse amener une détérioration de la pratique des enseignants; par contre, vouloir aller trop vite dans la mise en oeuvre des outils et ressources numériques, c’est prendre le risque presque assuré d’abandon des enseignants qui n’observent pas assez de bénéfices à ce qu’ils voient comme un travail supplémentaire considérable.
    C’est par une politique de petits pas, un accompagnement permanent qu’on peut transformer des enseignants souffrants « d’illettrisme numérique » en utilisateurs convaincus du numérique à l’école.

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